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nicolasT for Onepoint

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Les européens ont-ils vraiment perdu la guerre du cloud ?

Le contexte géopolitique récent a relancé une question qui s'est posée à partir de 2013 : est-ce que les européens ont perdu la guerre du cloud ?
Autrement dit, peut-on se passer des hyperscalers américains pour travailler dans le cloud public ?

Nous sommes en 2025, qu'en est-il ?

TL;DR
Oui, ils ont perdus de nombreuses batailles... mais peut-être pas la guerre. La rebellion se réorganise.
L’IA est l’occasion de relancer une dynamique en Europe.
La solution pour les offres IaaS, PaaS, SaaS pourrait passer par une fédération des acteurs.

La naissance d’un empire

Quand on évoque le "cloud public", bon nombre, pour ne pas dire tous, pensent immédiatement aux trois mastodontes américains. La raison ? La puissance marketing de ces derniers. Il faut reconnaitre que sur cet aspect, les américains semblent avoir une culture marketing que les européens n’arrivent pas à rattraper. Ajoutez à cela l’admiration toujours présente de la Silicon Valley qui place ces acteurs comme les fers de lance de l’IT.

De leur côté, les européens paraissent avoir eu besoin de digérer cette nouvelle notion. Le cloud public n'est qu'une forme de maturité et une évolution du métier de l'hébergement Internet. Pourtant, ce terme marketing est vite devenu un élément différenciant pour les acteurs nord-américains. Les hébergeurs européens n’ont peut-être par perçu ce terme comme étant vecteur d’une évolution de leur métier.

Par ailleurs, le marché, bien qu’admiratif, ne s’est pas rué sur ces nouvelles offres. Dans les premières années, les DSI avaient du mal à se projeter dans ce nouveau paradigme : quel coût à la fin du mois, de l’année ? Comment maitriser mon infra ? L’IaC (infrastructure as code) et l’éducation ont répondu à ces questions, à grand renfort de meet-ups sponsorisés et/ou présentant des démonstrations s’appuyant sur AWS.

La seconde défaite européenne vient de la technologie. Là où les européens étaient très présents et sur un marché dynamique de l’hébergement Internet, les clouds sont arrivés avec une réponse technologique innovante : des API et des outils pour automatiser la gestion des infrastructures dynamiques. Dans le même temps, Heroku, encore un acteur américain, propose une solution allégée pour déployer les applications : un PaaS.

Certains acteurs européens ont tenté de suivre, voir rattraper les solutions : les initiatives ratées Cloudwatt et Numergy de l’État français ; la tentative de résistance du cloud gaulois ;
platform.sh, PCextreme B.V. (racheté par versio), Digital Ocean, etc. Toutes ces initiatives n’ont pas réussi à faire de l’ombre à l’hégémonie naissante du futur trio omniprésent du cloud public, bien que proposant des solutions cohérentes, tant au niveau technique que financier.

Le dernier rapport sur les parts de marché des fournisseurs de cloud du Synergy Research Group fait état de 63% occupées par le trio AWS, GCP et Azure. Derrière cette domination se trouvent d’autres acteurs, dont de grands noms de la tech américaine, ainsi que le fournisseur chinois Alibaba.

CIS share trend : graphique montrant l’évolution des parts de marché des fournisseurs de cloud entre le dernier trimestre 2020 et le troisième trimestre 2025

source https://www.srgresearch.com/articles/cloud-market-share-trends-big-three-together-hold-63-while-oracle-and-the-neoclouds-inch-higher

Derrière le terme "neoclouds" se trouvent de nouveaux acteurs : CoreWeave, Crusoe, Nebius et Lambda.

La menace fantôme

Technologiquement, les acteurs de l'hébergement français paraissent avoir raté le virage du cloud. OVHcloud, acteur incontournable en France et en Europe, propose peu de services concurrents à AWS, GCP et Azure. Ceux proposés sont arrivés tardivement et ne semblent pas leur permettre d'être vus comme alternative.

Pourtant, dès 2011, des acteurs de l'hébergement Internet se lancent dans la fourniture de services de cloud moderne. Ikoula propose des VMs avec une facturation à l'usage. Modèle clé des acteurs du cloud moderne, par lequel ils ont secoué le marché. Ikoula récidive en 2013 avec une offre plus complète basée sur CloudStack. À l'époque, Gandi lance une offre de VPS concurrente. OVH, quant à lui, tarde à lancer son offre basée sur OpenStack. Digital Ocean émerge, avec une stratégie marketing agressive pour séduire les développeurs. Platform.sh se propose comme alternative à Heroku. PCextreme se crée aux Pays-Bas en s’appuyant également sur CloudStack. Scality, qui se concentre sur le stockage objet, voit le jour en 2009, et lance un appel à une fédération d’acteurs, pour proposer rapidement une offre multizone.
Il y a certainement d’autres initiatives à mentionner. Cependant, aucune n’arrive à se frayer un chemin face à ce qui se trame outre Atlantique. Amazon fait cavalier seul, ou presque. Malgré un départ en deux temps, Google et Microsoft réussissent à combler leur retard.

Après s'être laissé dépasser / déborder par les américains, les européens se concentrent visiblement sur le marché public, sécuritaire et la régulation.

Un nouvel espoir

Le cloud souverain. Terme très utilisé parmi les régulateurs et autres personnalités politiques et représentants d’entreprises publiques. Le terme n’est pas nouveau, cependant, en France la première initiative (Cloudwatt et Numergy) fut un échec. Pardon, je devrais dire qu’elle n’a pas marché.
Fort de cette expérience, cette fois les acteurs existants du marché de l’hébergement Internet sont contactés, comme OVH ou Online (ancien nom de Scaleway). Concrètement, peu de choses en sort, mis à part des initiatives orientées réglementation :

  • Gaia-X. L’idée première de cette initiative : fournir un standard pour favoriser l’émergence d’infrastructures fédérées.
  • European Union Cybersecurity Certification Scheme for Cloud Services. Projet de loi définissant les exigences en matière de cybersécurité entre les différents membres de l'UE.
  • SecNumCloud. Qualification de sécurité délivrée par l’ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information).

Comme toute rébellion, les choses ne se passent pas aussi facilement que prévu. Il ne faut pas attendre longtemps avant de voir Microsoft, Google ou Amazon entrer dans les discussions autour de Gaia-X. Ce projet est un tel succès que nombreux sont ceux à en avoir oublié son existence. Eurostack est lancée pour tenter d’apporter une réponse plus concrète.

Les normes EUCS et SecNumCloud sonnent la seconde vague de cette rébellion. Deux normes pour une même raison, l’une européenne, l’autre française. Bien entendu, la norme française est la plus contraignante. Encore une fois, les solutions d’envergures sont apportées via un modèle législatif.

Est-ce suffisant pour faire basculer des parts de marché vers des acteurs européens ? Dans le cadre de solutions avec de fortes contraintes de sécurité et de gouvernance, certainement. Bien que, par leur nature, ces contraintes orientent d’elles-mêmes vers une offre dite souveraine. Encore que… la décision par dépit de la CNIL concernant le Health Data Hub montre que ce n’est pas si simple.

L’empire contre-attaque

Oui, le marché européen du cloud public semble se contracter vers des offres de niche avec des contraintes fortes de souveraineté. En France, des partenariats "souverains" avec les opérateurs américains sont créés : Bleu pour Capgemini / Orange avec Microsoft Azure ; S3NS pour Thales avec Google Cloud.

Tandis que le lobbying a fait son œuvre dans les commissions, la réponse technologique passerait par un aveu d’échec : nous avons trop de retard, alors créons une offre qui permettrait de fusionner les produits américains avec les contraintes légales françaises. Dans les deux partenariats, la promesse est que les données sont toutes hébergées en France, dans des datacenters opérés par des entreprises française. Pour ajouter une couche de confiance, les données sont chiffrées par des clés inaccessibles aux entreprises américaines parentes des solutions technologiques.

Sur le papier, ça ressemble à un accord avec le meilleur des deux mondes. Oui, mais... un rapport juridique à destination du Ministère fédéral de l’Intérieur allemand vient quelque peu confirmer mes doutes. Ces offres ne protègent pas vraiment des lois extraterritoriales américaines.

Le retour du Jedi (ou du jet AI)

Les pannes récentes chez AWS, Google, Azure et CloudFlare démontrent une forte dépendance mondiale envers ces acteurs. Certains ont eu une prise de conscience de cette dépendance et regardent les alternatives. Ces alternatives existent et ne manquent pas. Par contre, elles sont souvent méconnues ou ne couvrent pas tout le périmètre technique que peuvent proposer le trio dominant.

Mon analogie avec la trilogie Star Wars s’arrête, car nous n’avons pas un Jedi européen pour aider la rébellion à gagner cette guerre. Est-ce sans espoir pour autant ? Peut-être pas.

Ma vision des choses et qu’il faut continuer de faire confiance aux acteurs européens. L’Europe ne possède pas (encore ?) d’hyperscaler pouvant proposer toute la panoplie de services que l’on trouve chez AWS, GCP ou Azure. Pourtant, rien qu’en France il existe des offres cohérentes. OVH cloud et Scaleway, par exemple, progressent fortement sur cet aspect. Leurs API permettent un usage dans la logique IaC. NumSpot se présente comme un nouveau challenger intéressant et ambitieux. Outscale possède également un catalogue intéressant, bien que plus restreint. Mais est-ce bien important ? Qui a besoin de l’ensemble de ces solutions ?

Il faut peut-être repenser l’adoption du cloud en se rapprochant de l’usage dont on a besoin. Une autre vision serait d’opter pour une stratégie cloud hybride ou multi-clouds.

Les entreprises du continent asiatiques semblent plutôt se tourner vers leurs champions : Alibaba, Tencent, Huawei, etc. Leur socle technologique ? Des solutions open source, qui sont également utilisées chez les acteurs cités précédemments.

Par ailleurs, l’IA est venue mélanger les cartes. Même si le marché est encore une fois dominé par des entreprises américaines, les européens ne sont pas en reste, notamment avec le français Mistral AI.

Et si

Et si la solution européenne pour les offres IaaS, PaaS, SaaS passait par une fédération des acteurs ?
Nous sommes en 2025 et l’IaC est devenu un standard dans la gestion des infrastructures. AWS, GCP et Azure proposent des API pour administrer leurs produits. Les solutions européennes aussi. Dans une stratégie multi-clouds il ne serait pas si complexe de répartir sur infrastructure sur les différents fournisseurs. Bien entendu, cela peut poser des défis au niveau de la connectivité et des performances. Nul doute que les architectes chevronnés sauront trouver les réponses !
Restera le point contractuel et financier. À ce niveau, il faut peut-être regarder du côté des réflexions FinOps, certains outils permettent d’avoir une vision multi-clouds.

Cette stratégie ne va peut-être pas vous convaincre. Alors à grand minima, nous avons besoin d’une cartographie des services clouds, à la manière du landscape de la CNCF. Mais ce sera sûrement le sujet d’un autre billet, plus court, je vous rassure ;)

Top comments (2)

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hansplg953 profile image
HansP.

Ce qui frappe, c’est à quel point le retard européen vient moins d’un manque de compétences techniques que d’un déficit de vision produit et de marketing à l’époque où AWS & co ont imposé leurs API comme standard de facto. On a voulu copier le modèle d’hyperscaler sans vraiment capitaliser sur nos forces (régulation, proximité, verticales métier, expertise infra historique), et aujourd’hui on se retrouve à se battre sur des niches de souveraineté plutôt que sur l’expérience développeur.

L’idée de fédération d’acteurs + multi-cloud/IaC est intéressante, surtout à l’heure où l’IA remet une couche de dépendance aux US, alors même que des acteurs comme Mistral, OVHcloud, Scaleway ou NumSpot montrent qu’un autre chemin est possible. Là où ça va se jouer selon moi, c’est sur deux points :

  • une interopérabilité réellement industrialisée (catalogues, API, observabilité, FinOps multi-cloud by design) ;

  • et une narration forte côté écosystème : tant qu’un dev pense « AWS first », la bataille culturelle n’est pas gagnée.

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ntrwn profile image
nicolasT Onepoint

L'interopérabilité est justement une des vocations de Gaia-X et Eurostack. Ils souhaitent promouvoir un standard d'échange, entre autre.
À mes yeux, Gaia-X s'est loupé. C'est pour ça qu'Eurostack s'est lancé. Espérons qu'ils s'en sortent mieux.