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Khaled Auwad
Khaled Auwad

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La taille des LLM expliquée et le rôle clé de la quantification

0 – Introduction

Les modèles de langage (LLM) soulèvent une question centrale : pourquoi leur taille est-elle si imposante et pourquoi nécessitent-ils une puissance de calcul aussi élevée ?
Un LLM est entraîné sur d’immenses quantités de textes divers. Il apprend à détecter des motifs récurrents (patterns), comprendre les liens entre les mots et saisir les nuances, ce qui lui permet de générer du texte sur des sujets variés, même non abordés pendant son entraînement. Cette capacité à générer du texte, même sur des sujets nouveaux, repose sur un élément clé des LLM : leurs paramètres.
Ces paramètres sont des nombres (généralement en virgule flottante), ajustés progressivement pendant l’entraînement. Initialement aléatoires, ils sont optimisés via des algorithmes d’apprentissage et des phases comme le fine-tuning, jusqu’à former un modèle performant. La quantité de ces paramètres détermine directement la taille du LLM.
Même les plus petits modèles de langage, comme LLaMA 3.2 1B, comptent déjà un milliard de paramètres. Quant aux plus grands, comme GPT-4, ils sont estimés à plusieurs centaines, voire plus de mille milliards de paramètres. Mais pourquoi de tels volumes sont-ils nécessaires ? La réponse tient à leur nature numérique : encoder les subtilités du langage humain demande des millions, voire des milliards de valeurs ajustées avec précision. Cette complexité explique les défis techniques que posent les LLM en matière de mémoire et de calcul, et justifie le recours à des techniques comme la quantification, qui visent à réduire leur empreinte tout en préservant leurs performances.
Au fil de cet article, nous explorerons comment cette structure entraîne des tailles considérables, quels défis techniques ils soulèvent, et comment la quantification peut contribuer à les rendre plus accessibles.


1 – La représentation des données par l’ordinateur

Les ordinateurs sont des machines qui utilisent l’électricité pour fonctionner et stocker des données. Mais comment cela est-il possible ? En simplifiant, on peut dire qu’un circuit est soit traversé par un courant électrique, soit non. On peut donc représenter cet état par un 1 (courant présent) ou un 0 (courant absent). En combinant un grand nombre de ces circuits, on obtient un système capable de manipuler des suites de 0 et 1, appelées bits, pour représenter n’importe quelle information.

Cependant, pour que ce système fonctionne de manière cohérente et que les ordinateurs puissent se comprendre entre eux, il est essentiel de définir des conventions partagées. C’est pourquoi des normes internationales comme ASCII, UTF-8 ou IEEE 754 ont été créées. Elles permettent d’associer à chaque suite de bits une signification précise. Par exemple, selon la norme ASCII, la lettre « k » est codée par la séquence binaire « 01101011 ».

La norme IEEE 754 est utilisée pour représenter les nombres à virgule flottante en binaire, afin d’assurer des calculs précis et cohérents entre différents systèmes informatiques. Elle définit plusieurs formats de représentation, notamment la demi-précision (16 bits), la simple précision (32 bits) et la double précision (64 bits).

Par exemple, un nombre en simple précision utilise 32 bits, c’est-à-dire 32 chiffres binaires (0 ou 1), tandis qu’un nombre en demi-précision n’en utilise que 16. Comme 8 bits forment un octet, l’unité de base du stockage informatique, un nombre flottant en 16 bits occupe 2 octets, et un nombre en 32 bits en occupe 4.
Cela signifie que chaque valeur flottante stockée en mémoire ou sur disque consomme une quantité d’espace directement liée à sa précision : plus la précision est élevée, plus l’espace requis est important.

La represetation de la constante π en binaire avec une précision de 32-bit et de 16-bit


2 – La nature approximative de la représentation décimale

Les nombres à virgule flottante posent un défi particulier, car les ordinateurs doivent les représenter en binaire dans un espace de stockage limité. Cela signifie que de nombreux nombres simples en apparence, comme « 0,1 » ou « 0,2 », ne peuvent pas être représentés avec une précision exacte. Ils sont donc stockés sous forme d’approximations, ce qui introduit de petites erreurs d’arrondi. Individuellement négligeables, ces erreurs peuvent s’accumuler au fil de calculs successifs et affecter la précision des résultats.
Pourquoi cette approximation ? Prenons une constante comme π (Pi), dont l’expansion décimale est infinie. Comment la représenter avec une précision parfaite ? C’est impossible : étant irrationnel, π ne peut pas être exprimé exactement avec un nombre fini de chiffres. À l’inverse, les entiers, aussi grands soient-ils, représentent des valeurs finies et exactes dès lors qu’on leur alloue suffisamment de bits. Par exemple, stocker le diamètre du système solaire en millimètres ne nécessiterait qu’environ 54 bits.
Les nombres à virgule flottante, en revanche, posent un autre problème : bien que des valeurs comme π soient petites en amplitude, leur précision infinie exige toujours une approximation en binaire. Plus on souhaite en capturer de chiffres, plus il faut allouer de mémoire. C’est là le compromis fondamental : alors qu’un entier peut être représenté avec exactitude, les nombres flottants, eux, ne peuvent qu’approcher la réalité, même avec des formats de haute précision. Autrement dit, toute représentation d’un nombre irrationnel comme π est, par nature, une approximation, et l’erreur d’arrondi qu’elle introduit ne disparaît jamais complètement.

Pour illustrer ce phénomène d’approximation, prenons π jusqu’à la 40ᵉ décimale :
3,1415926535897932384626433832795028841971
Si l’on souhaite le stocker sur un ordinateur, la précision de la représentation dépendra de l’espace mémoire alloué :
Espace de 16-bit :

Représentation binaire : 0100001001001000
Valeur stockée : 3,140625
Erreur : 0,0009676535897932384626433832795028841971
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Espace de 32-bit :

Représentation binaire : 01000000010010010000111111011011
Valeur stockée : 3,1415927410125732421875
Erreur : - 0,0000000874227800037248566167204971158029
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La valeur d’erreur indique la différence entre la valeur réelle de π (jusqu’à la 40ᵉ décimale) et ses approximations dans les formats 16 bits et 32 bits. Bien que les deux erreurs soient relativement petites et souvent négligeables, l’erreur en 16 bits est environ 10 fois plus grande que celle en 32 bits. Dans des domaines comme le machine learning, une augmentation de l’erreur d’un facteur 10 peut avoir un impact significatif sur les performances du modèle. Ainsi, les formats 32 bits sont privilégiés pour les paramètres nécessitant une grande précision. Les formats 16 bits restent néanmoins utilisés pour les paramètres moins sensibles, notamment dans le cadre de l’apprentissage à précision mixte (mixed-precision training), qui permet de réduire la taille du modèle et d’accélérer l'entraînement tout en maintenant une performance élevée.

Il est à noter que cette difficulté de représentation ne se limite pas aux nombres irrationnels, mais concerne également certains nombres rationnels, y compris ceux dont l’expansion décimale est finie. Voici comment le nombre 0,1, qui possède une unique expansion décimale, est stocké :
Espace de 16-bit :

Représentation binaire : 0010111001100110
Valeur stockée : 0,0999755859375
Erreur : 0,0000244140625
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Espace de 32-bit :

Représentation binaire : 00111101110011001100110011001101
Valeur stockée : 0,100000001490116119384765625
Erreur : - 0,000000001490116119384765625
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Ce phénomène d’approximation des nombres à virgule flottante se manifeste dans de nombreux langages de programmation modernes, comme Python ou JavaScript. Par exemple, additionner 0,1 et 0,2 peut surprendre : au lieu d’obtenir 0,3, le résultat affiché est souvent 0,30000000000000004. Cela illustre les limites de la représentation binaire imposée par la norme IEEE 754.

# Python
a = 0.1
b = 0.2
print(a + b) # output: 0.30000000000000004
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// Javascript
const a = 0.1;
const b = 0.2;
console.log(a + b); // output: 0.30000000000000004
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3 – Impact sur la taille des LLM

On a démontré que les LLM sont d’énormes collections de nombres à virgule flottante. Mais pourquoi pas des entiers ?

3.1 – Pourquoi utiliser des nombres à virgule flottante plutôt que des entiers pour les paramètres des LLM ?

On pourrait se demander, étant donné leur imprécision, pourquoi les LLM utilisent des nombres à virgule flottante au lieu d’entiers. La réponse tient à la finesse et à l’amplitude requises pour représenter les paramètres de ces modèles. Les entiers, bien qu’exacts, sont mal adaptés pour exprimer les minuscules variations et la vaste plage dynamique nécessaires aux calculs neuronaux. Par exemple, même si on peut stocker une très grande valeur, comme le diamètre du système solaire en millimètres, avec seulement 54 bits, cela ne suffit pas à capturer des écarts subtils entre poids et activations dans un réseau de neurones.

Les nombres à virgule flottante, en revanche, permettent de représenter efficacement des valeurs à la fois très grandes et très petites dans un format compact, ce qui est essentiel pour modéliser les nuances linguistiques apprises par les LLM. En outre, les GPU et NPU (neural processing unit) modernes sont spécialement optimisés pour ce type d’arithmétique, rendant les opérations non seulement possibles, mais aussi rapides et efficaces. Malgré leur approximation, les flottants restent donc la solution la plus adaptée.

3.2 – Alors, quelle précision en bits pour les paramètres ?

L’entraînement des grands modèles de langage (LLM) implique des milliards d’opérations mathématiques au sein de vastes réseaux de neurones. Dans ce contexte, la précision numérique est essentielle : de petites erreurs peuvent s’accumuler et compromettre la stabilité ou la performance du modèle. Les formats à haute précision comme le FP32 (virgule flottante sur 32 bits) permettent d’assurer des calculs de gradient fiables, des mises à jour de poids stables et une convergence efficace.

En revanche, les formats de moindre précision, comme le FP16 (16 bits), bien qu’avantageux en termes de vitesse et de consommation mémoire, peuvent introduire des erreurs numériques notables en particulier lors d’opérations sensibles comme la rétropropagation, ce qui les rend moins adaptés pour stocker les paramètres principaux pendant l’entraînement.

En résumé, plus la précision et la plage dynamique (ou la capacité de représenter des nombres à différents ordres de grandeur) sont grandes, plus le modèle peut capter de subtilités dans les données, ce qui fait de l’arithmétique en haute précision un pilier de l’apprentissage efficace des LLM.

3.3 – Conséquence sur la taille des LLM

Pour bien comprendre l’ampleur des besoins en mémoire, prenons un exemple simple : avec une précision de 32 bits, chaque paramètre occupe 4 octets. Un modèle comportant 7 milliards de paramètres, ce qui est déjà considéré comme relativement petit, nécessite donc :

32 bits = 4 octets
7 000 000 000 × 4 = 28 000 000 000 octets
28 000 000 000 octets = 28 gigaoctets

Cela signifie qu’il faut 28 Go de mémoire uniquement pour stocker le modèle, sans compter les ressources supplémentaires nécessaires à son exécution.
À ce stade, vous pourriez penser : « Aucun souci, j’ai une machine puissante avec 128 Go de RAM et un CPU haut de gamme. Je peux le faire tourner sans problème, non ? »
Attendez un instant, la suite pourrait bien vous faire revoir votre position.

4 – Quel matériel pour les LLM

Le CPU (central processing unit) ou le processeur central, et le GPU (graphics processing unit) ou le processeur graphique, sont optimisés pour des tâches fondamentalement différentes. Un CPU est un processeur à usage général avec un petit nombre de cœurs puissants. Il excelle dans les tâches séquentielles, la logique de branchement et la gestion d’une grande variété d’opérations. D’autre part, un GPU est conçu pour le parallélisme, et contient des milliers de cœurs plus petits et plus simples optimisés pour effectuer simultanément de nombreuses opérations similaires.

Le CPU est comme un atelier artisanal où travaillent quelques artisans hautement qualifiés. Ces experts savent exécuter des tâches variées et complexes, mais leur nombre limité les rend plus adaptés à des opérations précises et séquentielles.
Le GPU, en revanche, ressemble à une usine ultra-optimisée employant des milliers d’ouvriers spécialisés. Chacun d’eux effectue une tâche simple et répétitive, mais leur force réside dans leur capacité à agir en parallèle, permettant à l’usine de réaliser des millions d’opérations simultanément.

De la même manière, la RAM système et la VRAM (Mémoire RAM vidéo, ou mémoire GPU) diffèrent considérablement. La RAM système est plus lente et optimisée pour la flexibilité et la capacité, tandis que la VRAM est conçue pour la vitesse et un débit de données à haute bande passante, adaptée pour alimenter les nombreux cœurs du GPU sans goulots d’étranglement. La RAM système moderne (par exemple, DDR4 ou DDR5) offre des bandes passantes d’environ 25 à 70 Go/s. En revanche, la VRAM haut de gamme comme GDDR6X ou HBM2e peut atteindre plus de 700 à 1000 Go/s. C’est plus d’un ordre de grandeur plus rapide. Cette vitesse fulgurante est essentielle pour les types de charges de travail mathématiques utilisées dans l’exécution de grands modèles de langage.

C’est pourquoi un GPU avec seulement 16 Go de VRAM peut coûter plus cher qu’un CPU et 128 Go de RAM combinés, car il ne s’agit pas seulement de capacité ; il s’agit de la vitesse et de la structure du calcul et du transfert de données. Les GPU sont spécialement conçus pour effectuer des multiplications matricielles massives, l’opération mathématique de base dans les réseaux de neurones, à haute vitesse et en parallèle.

4.2 – Comment les GPU excellent dans l’exécution des LLM

Les grands modèles de langage sont essentiellement d’énormes piles d’opérations matricielles. Chaque token que vous entrez doit passer par couche après couche d’arithmétique, impliquant des milliards de paramètres. Ces calculs sont massivement parallélisables, c’est-à-dire qu’ils peuvent être effectués simultanément, c’est là que les GPU excellent.

Parce que les GPU sont capables d’exécuter des milliers de ces opérations matricielles en parallèle, ils surpassent considérablement les CPU dans des tâches comme l’inférence (utilisation d’un modèle entraîné) et l’entraînement (apprentissage des poids du modèle). Non seulement cela, mais la VRAM garantit que tous les paramètres du modèle et les données intermédiaires peuvent se situer juste à côté des cœurs de calcul, prêts pour un accès instantané sans avoir besoin de passer par des bus système plus lents.

4.3 – La capacité ne fait donc pas tout

Même avec 128 Go de RAM capables de charger un modèle de 28 Go, votre station de travail n’est pas conçue pour l’exploiter en temps réel. La RAM est plus lente, le CPU a moins de cœurs parallèles, et le bus mémoire ne permet pas un accès soutenu à haut débit, comme l’exigent les LLM. Exécuter un LLM moderne sur CPU revient à faire tourner un jeu vidéo récent avec une carte graphique intégrée : cela fonctionne, mais de façon inutilisable. Le problème n’est pas la capacité mémoire, mais la vitesse d’accès et le traitement parallèle. Même un CPU comme Intel i9 à 24 cœurs reste limité face aux GPU comme le RTX 4090, doté de plus de 16 000 cœurs spécialisés capables d’exécuter des milliers de threads simultanés, bien plus efficaces pour les opérations sur matrices et tenseurs. Avoir beaucoup de RAM ne suffit donc pas : la vraie contrainte est la capacité à transférer et traiter les données efficacement, ce que les GPU, avec leur VRAM à large bande passante et leur parallélisme massif, font très bien. CUDA, la plateforme parallèle de NVIDIA, permet d’exécuter des noyaux sur des milliers de threads, exploitant pleinement l’architecture GPU pour un traitement rapide et à faible latence.

Il convient de noter que l’architecture de mémoire unifiée d’Apple dans leurs machines récentes équipées des processeurs SoC (system on a chip) et SiP (system in a package), permet au CPU et au GPU de partager une mémoire à large bande passante, réduisant les surcoûts de transfert et améliorant l’exécution locale des LLM. Des tests sur ces machines ont démontré qu'elles pouvaient facilement faire tourner des modèles de langage de certaines tailles avec une faible consommation d’énergie. Toutefois, la plupart des outils de deep learning (PyTorch, TensorFlow) restent optimisés pour CUDA et ses bibliothèques comme cuBLAS et TensorRT, conçues pour accélérer les calculs matriciels et l’inférence sur GPU NVIDIA. Cela leur donne un net avantage en performance et compatibilité. La mémoire unifiée reste une piste prometteuse : si d’autres fabricants l’adoptent, l’inférence locale des LLM pourrait devenir plus efficace et accessible sur davantage de machines personnelles.

4.4 – Mais pourquoi le parallélisme ? On ne peut pas faire autrement ?

Depuis la publication de l'article fondateur de Google « Attention Is All You Need » en 2017, le machine learning a connu une révolution majeure avec l'introduction de l'architecture Transformer. Contrairement aux modèles séquentiels précédents, les Transformers permettent de traiter simultanément tous les tokens d'une séquence grâce au mécanisme d'attention multi-tête, éliminant ainsi la dépendance aux traitements séquentiels.

Les modèles de langage modernes reposent sur cette architecture. Lorsqu'un utilisateur saisit un prompt, chaque token est converti en vecteur et traité en parallèle à travers les différentes couches du modèle. Ce traitement parallèle est essentiel pour capturer efficacement les relations contextuelles entre les tokens.

Cette approche nécessite une capacité de calcul parallèle significative, que les GPU offrent naturellement, comme nous l'avons démontré. En résumé, le parallélisme inhérent aux Transformers rend indispensable l'utilisation de GPU pour l'inférence des LLM, afin de gérer efficacement les charges de calcul et de mémoire associées aux prompts de grande taille.

4.5 – Bilan

En résumé, faire tourner des modèles de langage de grande taille localement nécessite du matériel spécialisé et coûteux, comme des GPU puissants dotés d’une mémoire à large bande passante et d’une architecture massivement parallèle. Cette réalité peut sembler décourageante pour beaucoup, mais avant de laisser la frustration s’installer, il est important de savoir qu’il existe des solutions pour contourner ces limitations matérielles. Parmi elles, certaines approches permettent d’exécuter efficacement des LLM sur des configurations bien plus modestes.


5 – La quantification

5.1 – Définition

La quantification est un processus qui consiste à représenter des données numériques avec une précision réduite afin d’en diminuer la taille ou d’en simplifier le traitement. Elle repose sur le principe de remplacer des valeurs exprimées avec un grand nombre de niveaux possibles par une approximation utilisant un ensemble plus restreint de valeurs. Cette réduction de la précision permet de limiter les besoins en stockage, en bande passante ou en puissance de calcul, au prix d’une perte d’information généralement maîtrisée.

5.1.1 – Des exemples pour simplifier le principe

5.1.1.1 – Réduire le bit-rate dans les fichiers audio
On peut appliquer la quantification à un fichier audio en réduisant son bit-rate, c’est-à-dire le nombre de kilobits par seconde (kb/s) utilisés pour encoder le son. Par exemple, un fichier audio encodé à 320 kb/s offre une qualité très proche de l’original, mais occupe plus d’espace de stockage. En réduisant ce bit-rate à 128 kb/s ou même 64 kb/s, la taille du fichier diminue considérablement, au prix d’une perte de détails dans le son. Le niveau de compression dépend de l’usage prévu. Pour un morceau de musique classique, où les nuances et la richesse des instruments sont importantes, un bit-rate élevé (comme 256 ou 320 kb/s) est préférable afin de préserver la qualité d’écoute. En revanche, pour un livre audio d’un roman, un bit-rate plus bas (64 ou 96 kb/s) est souvent suffisant, car l’objectif principal est de transmettre la voix de manière claire et intelligible, même si certains détails sonores sont perdus.

5.1.1.2 – Quantification des couleurs dans les images : une technique de compression
Dans le traitement d’images numériques, la quantification consiste à réduire un spectre continu de couleurs à une palette plus restreinte. Cette simplification permet de compresser les données en utilisant un nombre limité de couleurs, ce qui réduit la taille des fichiers et diminue les besoins en calcul. Bien que cette opération entraîne une perte d’information, elle est généralement conçue pour préserver l’apparence visuelle globale de l’image, rendant la compression efficace sans altérer significativement la qualité perçue.

La quantification d'un spectre de coureurs

5.1.2 – Analogie : défi de tri de balles colorées

Imaginez que vous avez un énorme tas de petites balles, chacune d’une couleur différente. Pas seulement des couleurs différentes ; mais aussi des nuances différentes, des tons les plus foncés aux pastels les plus clairs.
Votre défi ? Trier les balles par couleur dans des boîtes séparées. Une fois triées, vous devrez envoyer les boîtes à une personne qui évaluera vos compétences de tri. Ça semble amusant, non ? Eh bien, il y a un hic :
Vous avez un budget limité à la fois pour acheter des boîtes et pour le transport. Cela signifie que vous devrez faire des choix.

  • Si vous voulez le score le plus élevé possible, votre tri doit être super précis. Cela signifie utiliser une boîte séparée pour chaque nuance. Mais alors, vous vous retrouverez avec beaucoup de boîtes et cela signifie que vous aurez besoin d’un gros camion coûteux pour les déplacer. Lorsque vous vérifiez votre budget, c’est clair : ce n’est tout simplement pas suffisant.

  • Alors vous commencez à réfléchir plus intelligemment. Et si vous regroupiez des nuances similaires ensemble ? Moins de boîtes signifie des coûts plus bas, et vous n’aurez pas besoin d’un énorme camion. Certes, le tri ne sera pas parfait, mais il pourrait être suffisamment bon pour impressionner la personne qui jugera votre performance tout en restant dans les limites du budget.

  • Au final, vous trouvez un juste milieu. Vous achetez juste assez de boîtes pour garder les choses organisées sans en faire trop. Vous triez en regroupant des nuances proches dans la même boîte et préparez tout pour le transport dans un camion à prix qui ne dépasse pas votre budget.

5.2 – La quantification d’un LLM

La quantification de modèle est une technique qui consiste à réduire intentionnellement la précision des représentations numériques, en passant de flottants 32 bits à 16 bits, voire 8 bits. Ce processus diminue considérablement la taille du modèle, accélère les calculs et réduit la consommation d’énergie. C’est un avantage crucial pour le déploiement sur des appareils en périphérie ou dans des environnements où l’efficacité est primordiale. Toutefois, réduire le nombre de bits signifie que chaque paramètre est représenté avec moins de précision, ce qui peut affecter subtilement les opérations arithmétiques sous-jacentes à la performance du modèle. Il est donc essentiel de trouver un équilibre : le modèle doit conserver une précision suffisante pour générer du contenu de qualité, tout en tirant parti des gains en légèreté et en rapidité. Des avancées comme l’entraînement conscient de la quantification (quantification-aware training ou QAT) contribuent à atténuer les pertes de performance, garantissant que ces modèles compacts restent efficaces et fiables.

5.3 – Préparation à la quantification avec QAT

Lors de l’entraînement des LLM, certaines techniques sont utilisées pour préparer le modèle à une future quantification en basse précision. L’une des plus efficaces est l’entraînement conscient de la quantification (QAT), qui introduit des étapes de fausse quantification simulant le comportement de l’arithmétique à faible précision. Ces étapes reproduisent les effets d’arrondi, d’écrêtage et de bruit inhérents aux formats réduits, mais sans altérer les valeurs stockées : les poids restent en haute précision (par exemple, en 32 bits).

Grâce à cet entraînement sous contrainte simulée, le modèle apprend à devenir robuste face aux perturbations qu’il rencontrera lors du déploiement réel. Une fois l’entraînement terminé, les opérations de fausse quantification sont remplacées par une quantification réelle : les poids et activations sont convertis en formats comme FP16 ou même INT8 (un entier sur 8 bits) à l’aide de facteurs d’échelle et de points zéro calibrés. Des optimisations supplémentaires, comme la fusion de la normalisation par lots dans les couches précédentes, renforcent encore l’efficacité. On obtient ainsi un modèle quantifié, plus léger et plus rapide, qui conserve une précision proche de celle du modèle original en pleine précision.

5.4 – Bons résultats avec FP4, vraiment ?

La recherche sur la quantification progresse rapidement, ouvrant la voie à des modèles plus rapides, plus compacts et moins énergivores. Un article marquant publié début 2025, « Optimizing Large Language Model Training Using FP4 Quantization » propose une avancée audacieuse : entraîner des LLM en utilisant une précision de seulement 4 bits à virgule flottante (FP4). Ce format n’est même pas défini par la norme IEEE 754, ce qui souligne à quel point cette approche sort des sentiers battus par rapport aux formats 16 ou 32 bits traditionnellement utilisés.

Ce qui rend FP4 particulier
FP4 adopte une approche fondamentalement différente de la quantification. Contrairement aux formats entiers comme INT8 ou INT4, qui reposent sur une arithmétique à point fixe avec un espacement uniforme entre les valeurs, FP4 conserve une représentation à virgule flottante, avec 1 bit pour le signe, 2 bit pour l’exposant, et 1 bits pour la mantisse. Cela permet de préserver une certaine plage dynamique, indispensable pour capturer aussi bien des valeurs très faibles que très élevées, tout en compressant fortement l’espace mémoire.
Mais entraîner un modèle avec une précision aussi faible présente de sérieux défis numériques. Pour les surmonter, les chercheurs ont combiné plusieurs techniques complémentaires :

  1. Quantification dynamique par blocs : Au lieu d’un facteur d’échelle unique appliqué globalement, FP4 utilise des échelles distinctes pour de petits blocs de poids. Cela permet de mieux préserver les relations relatives entre les valeurs au sein de chaque segment.
  2. Précision mixte stratégique : Certaines opérations sensibles, comme l’accumulation des gradients ou les normalisations, restent en FP8. Cette combinaison permet d’assurer une stabilité numérique tout en conservant les gains de compacité de FP4.
  3. Arrondi stochastique : Plutôt qu’un simple arrondi vers la valeur la plus proche, la quantification adopte un arrondi probabiliste basé sur la distance, réduisant les biais d’approximation sur le long terme.

À cela s’ajoutent d’autres ajustements comme le clipping (écrêtage) des valeurs extrêmes et le lissage des calculs pendant l’entraînement. Résultat : malgré une réduction drastique de la précision, les modèles quantifiés en FP4 affichent des performances comparables à leurs homologues entraînés en pleine précision, y compris sur de grands benchmarks.

Il convient toutefois de noter que ces résultats ont été obtenus dans des environnements simulés. À ce jour, aucun matériel ne prend en charge le calcul natif en FP4. Les gains de vitesse et d’efficacité énergétique restent donc théoriques, mais cette démonstration de faisabilité ouvre la voie à une nouvelle génération de matériel optimisé pour l’IA. D’ailleurs, NVIDIA a récemment annoncé que sa future architecture Blackwell, notamment via TensorRT et les GPU GeForce RTX série 50, prendra en charge le format FP4 pour l’inférence, signalant un tournant concret vers l’implémentation matérielle de cette technologie.

5.5 – La quantification à précision encore plus réduite : révolutionner l'inférence des LLMs

Alors que les nombres en virgule flottante (FP16/FP32) ont longtemps dominé l’entraînement des modèles de langage (LLMs), des techniques avancées de quantification à très basse précision émergent, exploitant non seulement des entiers 8 bits, mais aussi des formats extrêmes comme 1.58 bits, 1.73 bits, 2.22 bits ou 2.51 bits. Ces méthodes transforment les poids continus du modèle en représentations discrètes « buckets », réduisant drastiquement leur empreinte mémoire. Par exemple, le modèle DeepSeek-R1-671B, initialement à 720 Go en FP16, peut être compressé à 131 Go via une quantification dynamique en 1.58 bits, comme l’a démontré Unsloth AI.

Cette optimisation permet un déploiement sur du matériel contraint (ex. : Google Coral Edge TPU) sans support natif des flottants. Les formats entiers et sous 1 bit tirent parti de leur efficacité binaire : une addition s’exécute en un cycle d’horloge, contre plusieurs pour les flottants (gestion complexe du signe, de l’exposant et de la mantisse). Si ces techniques sacrifient théoriquement en précision, la redondance inhérente des LLMs compense cette perte, offrant un compromis optimal entre vitesse d’inférence, consommation mémoire et accessibilité.

Aujourd’hui, des frameworks comme GGUF (llama.cpp) ou AWQ automatisent ces méthodes, rendant possible l’exécution de modèles géants sur des GPU grand public ou des dispositifs embarqués. La quantification à précision réduite ouvre ainsi la voie à une IA haute performance, économe en ressources et universellement déployable.


6 – Conclusion : L’avenir des LLM locaux semble prometteur

À mesure que les modèles de langage deviennent plus grands et plus performants, les techniques de quantification jouent un rôle central pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Les progrès récents autour de formats ultra-compacts comme FP4, associés à des architectures matérielles de plus en plus spécialisées et à des méthodes d’entraînement adaptées, ouvrent une perspective enthousiasmante : faire tourner des LLM puissants directement sur nos appareils personnels, sans dépendre d’une connexion aux serveurs distants.
Cette transition vers des modèles locaux ne représente pas seulement un bond en avant technique. Elle apporte des bénéfices concrets : confidentialité renforcée, latence réduite, personnalisation possible sans compromettre les données de l’utilisateur. Bien que ce changement en soit encore à ses débuts, les résultats prometteurs de la recherche laissent entrevoir un futur proche où l’IA sera non seulement plus efficace, mais aussi plus proche de nous — littéralement.

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